L’éloge du vin et du commensal par un poète aleppin du Xe siècle
Par ma vie, le vin possède des vertus irréfutables et des qualités que l’on ne peut nier : une force qui concilie les contraires, tempère l’humeur et corrige le caractère. Il est connu pour enhardir le lâche, renforcer l’esprit, délier la langue et desserrer la bourse. Mais à côté de ces vertus d’autres aspects altèrent ses bienfaits et font paraître ses défauts : le buveur éprouve du dégoût avant de boire, ses traits durcissent lorsqu’il hume, s’il en reste dans la coupe il s’afflige, il ne cesse de faire des reproches à l’échanson, boit sans relâche, coupe le vin pour modifier son goût, il l’avale difficilement et s’aide d’amuse-bouche pour le faire passer. Il souffre de vertige et d’une migraine qu’il ne peut dissimuler. […]
L’ivresse est le plus grand défaut du vin, au point que toutes les traditions s’accordent à l’interdire sans la moindre divergence à son sujet. […]
Si tel est le vin, certains effets plaident en sa faveur, atténuent ses défauts et l’absolvent. Car l’acte de boire se fonde sur le partage et constitue le moyen de réunir les amis, permet l’intimité nécessaire à une bonne compagnie et le plaisir de la conversation. […]
Commentaire
Kushâjim, poète et commensal à la cour ḥamdanide d’Alep au milieu du Xe siècle, est l’auteur d’un manuel de savoir-vivre destiné à ceux qui partage la compagnie des princes et boivent en leur compagnie. Avant d’énoncer les règles à suivre en présence des puissants, il commence par faire l’éloge de la fonction de commensal (nadîm) et donc de la consommation du vin.
Kushâjim (1999), Adab al-nadīm, al-Nabawî ʿAbd al-Wâhid Shʿlân éd., Le Caire, Maktabat al-Khânjî.
Kushâjim (2009), L’Art du commensal. Boire dans la culture arabe classique, tra. S. Bouhlal, Paris, Actes Sud.