La transmission du savoir a longtemps été un programme majeur au sein de la section arabe de l’Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT). Afin de faciliter l’accès à la riche littérature biographique et narrative en terre d’islam, consacrée non seulement aux transmetteurs de hadiths mais aussi à toutes les personnes du monde musulman ayant fait autorité dans un domaine de savoir déterminé, l’IRHT a réuni des chercheurs du monde entier autour du projet « Onomasticon arabicum », initié par mes soins, alors que j’étais responsable de la section arabe. L’étude du nom arabe dans sa complexité et sa diversité était un préalable indispensable à cette entreprise.

Dans le Coran (2 : 31) il est dit : « Dieu a enseigné à Adam tous les noms », ce que l’on peut comprendre à la lumière du hadith attribué au prophète Muhammad, rapporté par al-Bukhârî (Kitâb al-tafsîr, chapitre 3, 4206), comme étant « le nom de toute chose ». C’est ainsi que le nom arabe médiéval en terre d’islam contient « cette exigence d’universalité : tout savoir, tout recenser, se remettre tout en mémoire à travers les noms des personnes »

À partir du IIIe/IXe siècle, et jusqu’à la fin de l’époque ottomane, historiens et biographes se sont attelés à réunir dans des répertoires, parfois encyclopédiques, l’ensemble des informations concernant tous les personnages identifiés par les sources depuis le début de l’islam avec un souci premier : éviter les homonymies (mushtabih). On estime que les notices biographiques de 100 000 personnages, ayant vécu au cours des dix premiers siècles de l’hégire, sont parvenus jusqu’à nous. Dans ces ouvrages qui constituent un pan important de l’historiographie musulmane, ils sont généralement classés en ordre alphabétique – plus ou moins strict – des ism, ou suivant leur date de mort.

Chaque individu reçoit à la naissance un premier nom, appelé ism ou ism ‘alam, auquel s’agrègent les maillons d’une chaîne plus ou moins longue, qui croît au long de leur vie. Réunis, ces maillons forment le récit de vie de chaque individu. Dans leurs ouvrages, les historiens médiévaux ajoutent un ensemble d’informations biographiques, et éventuellement la liste des maîtres et des disciples.

Ibn al-Fuwâtî. Damas Zāhiriyya (Maktabat al-Asad)

Les éléments du nom se déclinent en trois grands ensembles :

1- La généalogie (nasab)

En plus de son nom (ism), chaque individu reçoit celui de son père (ism al-ab) et de plusieurs de ses ancêtres : celui de son grand-père (ism al-jadd) et de son arrière-grand-père (ism jadd al-jadd), le plus souvent masculins. Par exemple, Ahmad b. Muhammad b. Ibrâhîm b. Ahmad. Ou encore, Fâtima bt. ‘Abd al-Wahhâb bt. Muhammad. Il n’est pas rare de remonter jusqu’à la 5e génération.

2- Les surnoms

Sont ici réunis quatre éléments du nom, rarement transmissibles, qui sont mis en évidence pour désigner un personnage à un moment de sa vie.

Il peut s’agir de :

une shuhra, à savoir un nom par lequel une personne a été le plus connue de son vivant, voire après sa mort. Ce peut-être des noms en lien avec une caractéristique physique, comme al-Jâhiz (aux yeux exorbités) ou al-A‘raj (le boiteux). Une shuhra est susceptible d’être un nom précédé de Ibn (fils de), comme Ibn Khaldûn, Ibn Rushd, et également une kunya, par exemple Abû Shâma ou une nisba al-Qastalânî, etc.;

un laqab, composé avec al-dawla, al-dîn et leurs équivalents (mulk), nom qui indique à l’origine une relation au pouvoir temporel, ou encore à la religion Par exemple, Sayf al-Dîn (l’épée de la religion), ‘Adud al-Dawla (le bras de l’Etat), Nizâm al-Mulk (l’ordre du Pouvoir) ;

un talqîb, élément du nom consacré à la titulature ou à un nom honorifique comme al-Malik al-Zâhir (Le roi manifeste), al-Âmir bi-Amr Allâh (Commandant ce que Dieu ordonne).

La définition par les auteurs médiévaux des alqâb est particulièrement étendue et fluctuante. Lorsqu’il figure dans une chaîne onomastique, le laqab ou talqīb n’a pas de place déterminée.

– une kunya, dont le premier terme est Abû (père) ou Umm (mère) au féminin. Par exemple : Abû ‘Alî, Umm Ahmad.

À l’époque médiévale, la présence d’une kunya est une quasi nécessité. La première utilisation rappelle la filiation : père ou mère. Mais il existe aussi une kunya-echo qui est déduite de l’ism comme ‘Alî Abû l-‘Alâ’, ou encore une kunya qui exprime une qualité morale ou implique une notion de bienfait, comme Abû l-Faraj, littéralement « qui exprime la joie, la consolation ». Enfin une kunya-surnom, comme Abû Turâb (le poussiéreux), qui fut la kunya du quatrième calife ‘Alî.

La kunya est l’élément du nom que les biographes mettent le plus souvent en avant lorsqu’ils rédigent les notices de leurs recueils biographiques.

3- Les noms de relation (nisba)

Toujours composé avec le suffixe î au masculin, et iyya au féminin, le nom de relation (nisba) exprime la relation verticale ou horizontale d’un individu avec son environnement. Verticalement, la nisba rattache un personnage à un ascendant, une tribu, ou encore un ancêtre, comme al-Kindî (tribu des Banû Kinda), al-Tamîmî (descendant des Banû Tamîm). Horizontalement, c’est le lien avec un lieu, une autorité, une situation personnelle qui s’exprime.

Les nisba-s sont en particulier :

– des noms rappelant les lieux qu’un personnage a visités ou dans lesquels il a séjourné. Par exemple, al-Misrî (Égyptien), al-Dimashqî (Damascain), al-Madanî (Médinois) ;

– des noms rappelant la relation à un maître, un ami, un personnage célèbre ;

– des noms faisant état d’une particularité physique. Par exemple, al-Ru’âsî (celui à la grosse tête), al-Ahwal (le louche) ;

– des noms rappelant l’adhésion d’un individu à une religion, une école juridique ou un courant théologique : al-Nasrânî (le Chrétien), al-Mâlikî (d’obédience malékite), al-Ash‘arî (d’école ash‘arite) ;

– des noms rappelant le métier d’un individu : al-Saydalānī (le pharmacien), al-Iskâfî (le cordonnier). La plupart des noms de métier n’ont pas la terminaison î, ils sont construits sur le schème fa‘‘âl comme al-‘Attâr (l’herboriste), al-Haddâd (le forgeron), al-Baqqâl (l’épicier).

Les ascendances :

À ces trois grands ensembles, les historiens et biographes médiévaux ajoutent parfois des précisions afférentes à l’ascendance des personnages.

On le constate, le nom arabe médiéval est complexe et d’une grande richesse. Si les individus reçoivent dès la naissance un ism et une kunya, auxquels peut s’ajouter un laqab, essentiellement pour les hommes, ils héritent ou reçoivent tout au long de leur vie d’autres noms qui forgent leur identité. En fonction des sources, chaque personne est désignée par une forme longue (répertoires biographiques) ou une forme abrégée (documents juridiques, correspondances). La structure est précise : ism, nasab, kunya, laqab, nisba priment dans le premier cas ; kunya, ism, ism al-ab et une ou deux nisba-s, dans le second.

Si les personnages féminins sont bien moins nombreux dans les sources biographiques, leur chaîne onomastique est semblable, à cette différence près qu’elles ne reçoivent pas de laqab, mais des « surnoms » que j’appelle « noms de substitution » ou « noms de bon augure », par lesquels leurs contemporains les désignent, à la place de leur ism. Ainsi, Fâtima, wa-tud‘â (et on l’appelle) Mubâraka (la bénie), wa-tusammâ (et on la nomme) Sa‘îda (l’heureuse), bt. (fille de).

Depuis 2019, la base de données « Onomasticon arabicum », librement accessible sur internet, donne accès aux notices de plus de 28 000 personnages de l’islam médiéval, avec la possibilité de les repérer à partir de n’importe quel élément de leur nom, mais aussi à partir d’une date ou d’un événement marquant survenu au cours de leur vie (https://onomasticon.irht.cnrs.fr). Cette base permet également de faire des recherches croisées plus complexes, qui donnent un éclairage sur la transmission du savoir en terre d’islam.

Références bibliographiques

– Cahiers d’onomastique arabe, éd. du CNRS, 5 volumes, 1979-1992.

– J. Sublet, Le voile du nom. Essai sur le nom propre arabe, Paris, PUF, 1991 ; trad. arabe par Sélim M. Barakat, Ḥisn al-ism. Qirāʾāt fī l-asmāʾ al-ʿarabiyya, Damas, Ifead, 1999.

– C. Müller, M. Roiland et J. Sublet, Onomasticon Arabicum. La base de données OA online (OA3-version 2018) : https://onomasticon.irht.cnrs.fr

 

Texte à l'appui

Le nom arabe médiéval

Référence électronique

Jacqueline Sublet, Le nom arabe médiéval, publié le 19/09/2024
https://comprendrelislam.fr/droit-et-societe/le-nom-arabe-medieval/