Source : extrait du Kitab al-sirât attribué à al-Mufaddal ibn ‘Umar al-Ju’fi, éd. Al-Munsaf ibn ‘Abd al-Jalîl, Beyrouth, Dâr al-madâr al-islâmi, 2004, p. 157, trad. B. Paoli.
[Ja’far al-Sâdiq dit :] « Sache, Mufaddal, qu’il existe des rangs et des degrés [de connaissance des mystères de la divinité] et que deux êtres ne sont jamais égaux quant au degré de connaissance : à chaque être son degré, son rang et son statut en matière de connaissance. Les corps dans lesquels ils transmigrent (yunqalûna) sont donc eux aussi différents et les vêtements qu’ils revêtent sont autres que ceux dont ils se défont. Ainsi, Mufaddal, une personne ne cesse de demeurer dans ce nouveau rang qui est son vêtement et son corps. Et lorsqu’il s’élève à un rang supérieur à celui dans lequel il est, il revêt un vêtement plus exquis, plus pur et meilleur que celui qu’il a enlevé, selon le rang auquel il a accédé. Mais s’il s’agit d’une personne qui a transgressé, péché, douté, soupçonné, erré et s’est trouvée perplexe, il est impératif qu’elle soit rétrogradée de ce rang et dépouillée de son vêtement pour revêtir un vêtement sombre et inférieur à celui qu’il a enlevé. »
Commentaire
Dans ce court extrait, l’imam Ja’far explique à al-Mufaddal le principe de la transmigration des âmes. Al-Mufaddal ibn Umar al-Ju’fi, mort vers 796, fut chargé par Ja‘far al-Sâdiq (sixième imam chiite, mort en 765) de guider la communauté des ghulât. Il devint plus tard un agent de confiance du septième imam, Musa ibn Ja‘far (148-182/765-799), du vivant duquel il mourut. Dans la tradition nousayrie, il est le huitième bâb. Il est accepté comme le transmetteur d’un certain nombre d’ouvrages dans lesquels il recueille les enseignements attribués à l’imam Ja‘far. Il est donc un auteur « proto-nousayri ». Son statut et son œuvre témoignent de ce que les nousayris-alaouites sont bien les derniers des ghulât, dont ils perpétuent l’héritage jusqu’à aujourd’hui.
L’ouvrage dont est tiré ce court extrait est une interprétation ésotérique du sirât, le pont qui sépare le paradis de l’enfer, dont les sept arches sont vues comme sept obstacles sur le chemin du croyant vers le paradis, un paradis gnostique conçu comme la connaissance vraie du mystère de la divinité. Le sirât est donc la voie droite qui conduit au septième ciel où l’on contemplera la divinité dans tout son éclat.