Texte 1 :
Le succès de Dalâ’il al-Khayrât a été considérable dans toute l’Afrique musulmane, de la Mauritanie à l’Ethiopie et au Kenya. Dans les années 1986-87, un anthropologue hollandais, G. Mommersteeg, a pu observer l’usage particulier fait du Dalâ’il dans la ville de Djenné au Mali, notamment pour « faire venir la pluie » (G. Mommersteeg, « Djenné vraagt om regen. Islamitische regen rituelen in een stad in de Sahel, Etnofoor, II, 1989, 71-83, traduction Constant Hamès) :
« Pendant trois jours de suite, un grand nombre de marabouts et certains vieillards se rassemblaient le matin, vers neuf heures, dans la mosquée pour lire sept fois le Dalâ’il al-khayrât (..) les pages (séparées) étaient distribuées entre les lecteurs qui faisaient la lecture simultanément ».
Il rapporte un témoignage qui en dit long sur la vénération et l’efficacité accordées à ce livre : « Un jour un marabout m’a avoué que le Dalâ’il al-khayrât était un livre d’une grande importance et il me l’a démontré à partir de l’histoire suivante. Il y a longtemps, un groupe de marabouts lettrés entamèrent une discussion : finalement quel était le livre le plus important ? Ils conclurent qu’il fallait le prouver. Pour une nuit entière ils déposèrent dans une chambre fermée à clé un paquet de livres au hasard. Parmi eux, se trouvaient un Coran et un Dalâ’il. Et lorsque le lendemain ils ont à nouveau ouvert la porte de la chambre, le Coran gisait à côté du paquet de livres et le Dalâ’il à son sommet. »
Texte 2 :
Louis Massignon, « Un poète saharien. La qasîdah d’Al-Yadali », Revue du monde musulman, 8, 1909, 204-205.
« Alors que l’orthodoxie rigoureuse des Orientaux, depuis Ibn Teimiyah jusqu’aux Wahhâbites, à toujours visé de reproduire la doctrine zâhirite, c’est-à-dire un retour au Qorân et à la Sunna, en toute simplicité, sans exagération ni idolâterie; l’orthodoxie fanatique des Occidentaux, moins éclairée, a poussé jusqu’aux dernières limites, l’admiration pour la personne du Prophète que les fétwas malékites les plus anciennes avivèrent en punissant comme « kâfir » tout Musulman qui apporterait quelque restriction aux qualités, vertus et attributs reconnus du Prophète.(…)
la concentration graduelle, le resserrement de l’idée religieuse islamique en Occident, auteur de la personne unique du Prophète ressort très nettement de la qaṣîdah d’Al Yedâlî. Les vers 37 et 41 scq. emploient pour l’amour dû au Prophète des termes que les premiers soûfis eussent adressés à Dieu. Certaines épithètes du début frisent les 99 « asmâ’l ḥosnâ ».
Plus que partout ailleurs, en Sahara, l’Islam est réduit à l’affirmation qu’il croit « ce que crut le Prophète ». La tendance est di forte, que dans la tarîqah récente de Derqâwah on a cru obvier au danger d’une possible « association » (shirkeh) entre les deux termes postulés dans la shihâdah « Dieu qui seul est Dieu » et « Moḥammed, qui est le prophète de Dieu », en ordonnant aux affiliés de faire une pause entre les deux membres de phrase et de changer l’intonation. Mais le péril est indéniable, et nulle part il n’apparaît plus clairement que dans la qaṣîdah pauche, mais fervente, du berbère Al Yedâlî ».