Source : extraits du Kitâb khayr al-sanî’a fî mukhtasar târîkh ghulât al-chî’a du cheikh Ḥusayn Mayhûb Harfûsh, manuscrit inédit dont une copie est conservée dans la bibliothèque de l’Institut français du Proche-Orient à Damas, trad. B. Paoli.
Connaissance des disciples (awlâd) du Sayyid Abû Abd Allâh al-Ḥusayn ibn Hamdan al-Khasîbî
Le premier : Râs Bâch al-Daylâmî. D’origine irakienne, il fut initié à Bagdad après avoir assisté à un miracle d’al-Khasîbî. Un jour, ce dernier monta un chameau et, au moment où celui-ci voulait pénétrer une ruelle dont la porte était étroite, celle-ci s’agrandit afin de laisser passer l’animal. Seul Râs Bâch fut témoin de ce miracle, car il lui avait été demandé de faire le tour des rues et des commerces de Bagdad avec lui. Lorsqu’il vit ce miracle de ses propres yeux, il le fit descendre de chameau, lui baisa la main et se mit à son service. Par la suite, al-Khasîbî lui transmit son enseignement et composa une épitre à son nom, la Risala râstbâchiyya. Par la suite, [Râs Bâch] mémorisa le Coran et effectua le pèlerinage à la Mecque et à Jérusalem.
Le deuxième : Abû al-Hasan al-Bishrî. D’origine syrienne, il initia [aux principes de la doctrine] le prince Ala al-Dîn, gouverneur de Takrit, ainsi qu’une dizaine de villages [des environs] d’Alep. Que Dieu le sanctifie.
Le troisième : Yunûs al-Badî’î. D’origine syrienne, il composa des commentaires ésotérique et exotérique du Coran. Il emporta deux livres en Égypte : le Kitâb al-Kâfi bi-l-jawab al-shafi, et le Kitâb al-mithal wa-l-sûra. Tous deux sont attribués au Sayyid Abû Shu’ayb [Ibn Nusayr]. Personne ne connaissait l’existence de ces deux ouvrages en Égypte, de sorte que les croyants ne pouvaient les emprunter sans laisser en gage l’équivalent de leurs poids en or. Il initia huit personnes dans la mosquée [Ibn] Tulûn et entreprit, à sa charge, le pèlerinage avec eux. Il décéda à Alep à l’âge de soixante ans. Que Dieu le sanctifie.
Le septième : Abû al-Layth al-Kattânî al-Halabî al-Shâmî. Il était établi à Sarmin où il filait le lin pour le vendre. Il mémorisa le Coran sous la direction de son père […] et initia huit [personnes]. Il partit avec eux à la Mecque où ils séjournèrent un an puis ils se mirent en route vers la montagne à l’ouest de Hamah où ils s’installèrent et où tous lui succédèrent, publiquement et secrètement. Que Dieu Le Très-Haut les sanctifie.
Le treizième : Abû Hamza al-Kattân, syrien nomade chiite. C’était un homme courageux, qui aimait à polémiquer avec les adeptes d’autres sectes. Il mémorisa le Coran et ses sept lectures, étudia la grammaire et effectua le pèlerinage. En outre, il initia six personnes à l’âge de cinquante-cinq ans. Il décéda à Homs. Que Dieu sanctifie son âme.
Le vingt-troisième : Yazîd ibn Shu’ba al-Harrânî. Il est l’auteur du Kitâb haqa’iq asrâr al-dîn (Le livre des significations des mystères de la religion) et d’autres encore. Il était suivi par plusieurs disciples car c’était une personne savante, bienveillante et bienfaisante. Lors de son voyage vers la Mecque, des pèlerins se joignirent à lui et l’accompagnèrent jusqu’à son île. Alors qu’ils étaient en pleine mer, ils se trouvèrent face à un poisson-lune de la taille d’un chameau. Alors que tous les passagers à bord étaient morts de peur, Abû Muhammad [Yazîd ibn Shu’ba] prit une feuille sur laquelle il écrivit trois lettres et qu’il déposa dans un creuset à cire avant de la jeter dans la direction du poisson qui fuit sur-le-champ. […] Dès leur arrivée sur l’île, Yazîd initia aux mystères de la Loi divine ses compagnons, ainsi qu’un groupe d’hommes originaires des montagnes du Yémen. Puis il se rendit en Syrie (al-Shâm) et mourut à Hama. Plusieurs livres qui lui sont attribués sont préservés dans les montagnes.
Le vingt-cinquième : Abû al-Qâsim al-Abbâs al-Shâmî. Il était apprécié parmi les Gens du Livre. Il incita dix moines à se convertir à l’islam, ainsi quatre savants juifs. Il entreprit un pèlerinage en leur compagnie à la Mecque. Ils visitèrent Jérusalem et Hébron et, en chemin, il les initia aux mystères de la divinité. Il décéda en Palestine à l’âge de soixante-dix-sept ans. Que Dieu le sanctifie.
Le trente-septième : Charbabak al-A’jamî. Il apprit le Dastûr mais l’oublia par la suite. Il eut peine à le supporter, de même que ses amis qui le réprimandèrent, de sorte qu’il se mit à boire d’une « boisson pure » jusqu’à en mourir. Il décéda à Hamadan à l’âge de trente ans.
Commentaire
Al-Khasîbî, leader de la communauté nousayrie au milieu du Xe siècle eut, dit-on, cinquante-et-un disciples. Le Kitâb khayr al-sanî’a consacre à chacun une courte notice. Celles qui ont été sélectionnées ci-dessous contiennent un certain nombre d’informations importantes. Tout d’abord, elles témoignent de la diffusion de la doctrine, non seulement en Syrie, mais aussi en Irak (Bagdad, Takrit), en Palestine, en Égypte et en Iran (Hamadan). Elles illustrent ensuite le prosélytisme actif de ses adeptes, qui convertirent et initièrent des chrétiens et des juifs, mais aussi des hommes de pouvoir, comme l’émir bouyide Râs Bâch al-Daylâmî ou ce Ala al-Dîn, gouverneur de Takrit. Enfin, elles attestent de ce que, très tôt déjà, les nousayris avaient commencé à s’établir dans l’ouest de la Syrie actuelle et dans les montagnes qui, depuis le Moyen Âge, constituent leur sanctuaire contre l’oppression des gouvernants sunnites.