Première dynastie califale de l’Islam, les Omeyyades régnèrent de 661 à 750 : ils furent alors renversés et éliminés par les Abbassides. Parmi les rescapés du massacre, le petit-fils du calife Hishâm (724-743), Abd al-Rahmân, s’enfuit vers l’Occident : après avoir traversé l’Égypte puis le Maghreb pour échapper à ses poursuivants, il s’établit en péninsule Ibérique, accueilli par des partisans qui le portèrent rapidement au pouvoir. En 756, il y fonda un émirat indépendant du califat abbasside : avec Cordoue comme capitale, il règne sous le nom de Abd al-Rahmân Ier (756-788). Au cours du IXe siècle, en particulier sous le règne de Abd al-Rahmân II (822-852), l’émirat de Cordoue devint progressivement un acteur majeur dans la géopolitique méditerranéenne, avant cependant de traverser une période d’instabilité à la fin du siècle et au début du suivant, marquée par plusieurs révoltes provinciales.
Le jeune Abd al-Rahmân III (912-961) parvint cependant à rétablir la situation. Fruit de ses succès, mais aussi de l’évolution globale du monde islamique, dont l’éclatement politique a été officialisé par la proclamation d’un califat chiite à Kairouan (909), il prit une décision sans précédent. Par une lettre datée du 16 janvier 929, il annonce en effet relever le titre califal, qu’avaient porté ses ancêtres à Damas – arguant pour cela de l’indignité des Abbassides.
Immédiatement après, les ateliers monétaires de la capitale se mirent à frapper des dinars d’or – privilège des califes, selon la théorie politique islamique.
Sous le règne de Abd al-Rahmân III, le califat omeyyade de Cordoue devint un État impérial, exerçant une hégémonie quasiment incontestée sur la péninsule Ibérique : malgré quelques victoires (comme à la bataille de Simancas, en 936), les royaumes chrétiens ne parviennent que rarement à contester son rayonnement. Celui-ci s’étend aussi au-delà du détroit de Gibraltar, où Abd al-Rahmân III fait la conquête de quelques places côtières comme Ceuta, et s’assure le soutien de nombreux émirs locaux. La propagande officielle exalte alors le début d’une marche qui doit permettre au calife de reprendre possession de son héritage perdu, et de régner, comme ses ancêtres damascènes, sur l’ensemble du monde islamique.
Fils et successeur de Abd al-Rahmân III, al-Hakam II (961-976) poursuivit l’œuvre de son père, notamment en direction du Maghreb où ses troupes firent notamment la conquête de Fès (974). Il se distingua cependant de son prédécesseur par un intérêt marqué pour les arts et les lettres. Résidant dans la somptueuse cité palatine de Madînat al-Zahrâ’, située à quelques kilomètres de Cordoue, il se bâtit une réputation de mécène. La bibliothèque du calife était alors l’une des plus renommées du monde, abritant selon les auteurs médiévaux plus de 400 000 ouvrages. Les artistes andalous sont alors à l’apogée de leur raffinement, comme le montre l’agrandissement de la grande mosquée de Cordoue inauguré sous son règne : son mihrâb resplendissant, réalisé avec l’aide de mosaïstes venus depuis Constantinople, illustre l’accomplissement artistique et culturel du califat omeyyade.
Al-Hakam II mourut cependant prématurément. Son fils Hishâm (976-1013) n’étant pas assez âgé pour régner seul, le pouvoir fut alors tenu par ses proches, avant d’être progressivement accaparé par Muḥammad b. Abī ‘Āmir, qui prit en 978 le surnom d’al-Mansûr (le « Victorieux »), déformé en Almanzor par les chrétiens. S’il maintient le calife en poste, c’est lui qui assurait l’exercice du pouvoir, tenant l’administration centrale d’une main de fer. Il remporte notamment d’éclatantes victoires sur les chrétiens, humiliés par le sac de Barcelone (985) et la prise de Saint-Jacques-de-Compostelle (998). Le calife se vit donc réduit à un rôle de caution politique, isolé dans un palais dont il ne sortait quasiment plus.
Cependant, à la mort d’al-Mansûr (1002), ses fils ne firent pas montre du même sens politique que lui. Son fils cadet, Sanchuelo, commit notamment une erreur fatale en 1009, en se faisant nommer par Hishâm II comme héritier. Cette décision soulève en effet les élites et le peuple de la capitale, qui renversèrent les descendants d’al-Mansûr et mirent fin à sa lignée : c’est le début d’une guerre civile qui va durer plus de vingt ans.
Plusieurs compétiteurs s’affrontèrent alors ouvertement pour accéder au titre califal. Au cours des combats, Madînat al-Zahrâ’ fut pillée puis réduite en poussière en 1010, tandis que Cordoue est assiégée puis saccagée en 1013. L’hégémonie du califat de Cordoue s’effrita, alors que des mercenaires chrétiens prenaient une part active aux combats. Bien qu’occupant les premiers rôles, les membres de la famille omeyyade furent incapables de rétablir la situation à leur profit, et le titre califal finit par leur échapper. En 1027, les élites cordouanes firent appel pour la dernière fois à un Omeyyade pour porter le titre califal, en la personne de Hishâm III. Déposé quatre ans plus tard (1031), il fut le dernier calife d’al-Andalus : bien que le califat n’ait pas été formellement aboli, les Omeyyades ne reprirent jamais le pouvoir, même si des lignages qui descendent d’eux sont signalés en péninsule Ibérique pendant des siècles encore.
Bien que disparu, le califat omeyyade de Cordoue a continué d’exercer une puissante influence. Les princes andalous du XIe siècle continuent, dans leur majeure partie, à s’y référer, et notamment à le présenter comme une source de légitimité. De l’autre côté du Détroit, les Almohades (1130-1269), qui eux aussi fondèrent un califat, se sont efforcés de se présenter en héritiers des Omeyyades, dont ils reprirent de nombreux symboles, plusieurs siècles après leur chute.
Pour aller plus loin :
Fierro, Maribel, ʽAbd al-Raḥmān III, Oxford, Oneworld, 2005.
Guichard, Pierre, al-Andalus (711-1492), Paris, Hachette, 2011 [1e éd. 2000].
Lévi-Provençal, Évariste, Histoire de l’Espagne musulmane, Paris, Maisonneuve et Larose, 1999 [1e éd. 1950], 3 vol.
Martinez-Gros, Gabriel, L’idéologie omeyyade, Madrid, Casa de Velázquez, 1992.
Sénac, Philippe, al-Andalus. Une histoire politique (VIIIe-XIe siècles), Paris, Armand Colin, 2020.