L’islam noir, ou les aventures d’un concept et d’un mot

L’« Islam noir » cette expression qui a servi à désigner l’islam subsaharien en général, est fréquemment utilisée par les auteurs du siècle précédent et dans les médias de notre époque, depuis la publication du livre de Vincent-Mansour Monteil (m. 2005), portant cette expression pour titre, dès 1964, puis en 1971 et 1980. Outre les études liées à cette expression dont certains extraits sont mentionnés plus bas, l’auteur J.-L. Triaud s’est appuyé également sur d’autres publications pour traiter de cet Islam subsaharien et en dégager les caractéristiques propres en Afrique orientale et occidentale.

Vincent Monteil est revenu sur l’usage du titre Islam noir dans la première édition de son ouvrage, Vincent Monteil, L’islam noir, Paris, Éditions du Seuil, 1964. Dans la deuxième édition (1971, p. 47), il prend acte des critiques qui lui ont été faites à ce sujet : « … l’expression ‘islâm noir’ n’a certes pas la faveur des Africains. Cette méfiance s’explique en raison de l’utilisation tendancieuse qui en a été faite » .

Mawlid à la mosquée Sankore

Lecture collective : Mawlid à la mosquée Sankore (Cliché Abdoulwahid Haidara 2018)

Cependant, dans la préface de la troisième et dernière édition (1980), il justifie finalement son titre par défaut : « Je sais que le titre, L’Islam noir, prête le flanc à la critique et que des Africains musulmans me l’ont amicalement reproché. Mais, puisque, tel qu’il est, il aborde son troisième voyage, il m’a semblé qu’il valait mieux le garder, car, après tout, c’est sous ce nom qu’il s’est fait connaître ».

Alain Quellien, La politique musulmane dans l’Afrique occidentale française. Paris, Émile Larose, 1910 : p. 111 et p. 172 :

« L’islam soudanien a […] l’avantage de tendre à perdre son caractère fanatique à mesure que la couleur du Noir augmente ; ce caractère subsiste seulement chez les races noires métissées d’Arabe ou de Peul […]. L’islam soudanien, en tant que puissance musulmane et organisation politique, consciente d’elle-même et sérieusement organisée n’existe pas. Ce n’est qu’un islamisme de surface, d’apparence, de pure forme ; les pratiques fétichistes y survivent avec autrement de force que les observances strictes musulmanes, les noirs font seulement salam ; quant au reste, ils l’ignorent profondément. Cet islamisme, informe et hétérodoxe, ne saurait donc être dangereux à condition qu’il reste livré à lui-même et qu’aucune influence extérieure ne vienne lui faire subir d’importantes modifications ».

Robert Arnaud, « L’islam et la politique musulmane française en Afrique occidentale française », Paris, Publication du Comité de l’Afrique française, Bulletin du Comité de l’Afrique française, Renseignements coloniaux, 1912, p. 6 et p. 128-129:

« L’islam en Afrique occidentale, virtuellement séparé de l’influence des perturbations politiques qui, ailleurs, modifient son aspect traditionnel, confondu de plus en plus avec le fétichisme, vit d’une vie qui lui est propre, et acquiert une individualité qui lui permet d’avoir son évolution particulière, en dehors des idées professées par les transformateurs sociaux d’Égypte, de Turquie et de Perse […] Nous avons un intérêt considérable à voir se continuer et évoluer en Afrique occidentale un Islam purement africain […] Il serait désirable que nous ne soyons pas indifférents à la formation, dans la partie occidentale de ce continent, d’un éthiopianisme musulman ».

Paul Marty, Études sur l’islam au Sénégal. Les personnes. Paris, Collection de la Revue du monde musulman, 1917, p. 261 : « Le mouridisme, pour désigner par un mot le corps des doctrines et pratiques religieuses auxquels sont attachés les Mourides, doit être considéré comme une sorte de religion nouvelle née de l’islam »

Paul Marty (1882-1938) fut le principal animateur et théoricien des Affaires musulmanes au Gouvernement général de l’AOF à Dakar. Il a laissé une importante bibliographie sur l’islam dans chaque colonie (9 titres entre 1913 et 1930). Le mouridisme, qui est, à l’origine, une branche issue de la Qādiriyya mauritanienne, devient, à ses yeux, le modèle de ce qu’on appelle par ailleurs islam noir : un islam jugé particulariste à encourager comme tel. Sur la naissance de la Mūridiyya, voir Cheikh Anta Babou, Fighting the Greater Jihad. Amadu Bamba and the founding if the Muridiyya of Senegal, 1853-1913. Athens, Ohio

Jean-Claude Froelich, Les musulmans d’Afrique noire. Paris, Éditions de l’Orante, 1962, p. 11: « Il existe donc un Islam noir bien particulier, très différent de l’Islam méditerranéen ou proche-oriental, différent aussi de l’Islam maure ; Islam repensé, repétri, négrifié, adapté aux caractères psychologiques des races noires »

J.C. Froelich, administrateur de la France d’Outre-Mer et responsable d’Affaires musulmanes, résume en ces termes, à l’usage du grand public, la doctrine de l’islam noir. C’est un point d’orgue : les indépendances viennent mettre fin à cette politique, fortement contestée du côté musulman. Froelich a placé en exergue de son livre une citation d’Ibn Khallikān, un juriste arabe (1211-1282), qui est pourtant une sorte d’antidote aux jugements péjoratifs que nous avons recensés ici : « Une peau noire ne saurait avilir une âme pure ou diminuer la science du savant ou l’élévation de l’esprit. Laissez les Noirs revendiquer la couleur de votre corps, je réclame comme mienne leur âme noble et candide ». La référence précise est absente.

 

Référence électronique

Jean-Louis Triaud, L’islam noir, ou les aventures d’un concept et d’un mot, publié le 24/05/2023
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