Une biographie sommaire de Fadlallâh Na’îmî al-Astarâbâdî est rapportée dans plusieurs recueils bio-bibliographiques sunnites, majoritairement de l’époque mamlouke dont celle de Sakhâwî (m. 1497), al-Daw’ al-Lâmi’ qui renvoie à Durar al-‘Uqûd d’al-Maqrîzî (m. 1442), comme étant la seule source à proposer une notice biographique conséquente de cet auteur. Al-Dharî’a, de Âqâ Buzurg al-Tahrânî (m. 1970) quant à elle, demeure l’une des plus récentes sources chiites à consacrer à Fadlallâh une notice biographique qui, quoique courte, compète celle de Maqrîzî. Nous les reproduisons traduites en français dans leur intégralité ci-dessous :
Al-Maqrīzī, Durar al-ʿuqūd al-farīda fī tarājim al-aʿyān al-mufīda, éd. M. al-Jalīlī, Beyrouth, Dār al-Ġarb al-Islāmī, 1423/2002, vol. 3, § 901:
« Il a cheminé dans la voie de Dieu Très-Haut, menant une vie de dénuement et de renoncement. En effet, il est connu pour n’avoir jamais goûté à la nourriture de personne ; il cousait plutôt les calottes qui se portaient sur la tête, activité dont il tirait de quoi assurer une modeste subsistance. Il est l’auteur d’ouvrages dont : « ʿArsh Nâma” » et « Jâwîd Nâma » qui consistent en poèmes composés en langue persane. Il eut de nombreux adeptes. A cause de certains propos rapportés de lui, il fut soumis à l’interrogation une première fois lors d’une séance tenue spécialement à cet effet dans la ville de Gilan (en Iran actuel) en présence de docteurs de la loi, puis une seconde fois lors d’une autre séance tenue dans la ville de Samarcande. En l’an huit cent quatre (de l’Hégire) il fut exécuté et inhumé dans la cité de Yalanji, l’un des districts de la métropole de Tabriz (en Iran).
Il avait de nombreux disciples dans le pays de la Transoxiane, au Levant et en Égypte. Ils étaient reconnaissables à leurs habits en feutre blanc non tissé dont ils couvraient également la tête. Ils niaient ouvertement les attributs divins, professaient la licéité des interdits et l’abandon des obligations religieuses, et corrompaient la foi de nombreuses personnes. Aussi al-Qân Mu’în al-Dîn Shâh Rukhkh, le fils du prince Taymûr (Tamerlan) le Sultan de la Transoxiane, ordonna-t-il qu’ils soient expulsés de son pays. Un vendredi dans la grande mosquée, deux d’entre eux se ruèrent sur ce dernier dans l’intention de le tuer, et parvinrent à le blesser gravement. Ils furent ensuite mis à mort. Al-Qân recouvra ses esprits, mais depuis cette attaque, il fut frappé d’une maladie pour le reste de sa vie ».
Âgâ Bazrak al-Tahrânî, al-Ḏarīʿa Ila taṣānīf al-šîʿa, Beyrouth, Dār al-Aḍwāʾ, s. d. vol 4-9, p. 1217, § 6901 :
« Il s’agit de Fadlallâh b. Abî Muhammad ‘Abd al-Rahmân Jalâl al-Dîn al-Astarâbâdî, connu sous le nom de Na’îmî et surnommé Halâl Khûr (celui dont la nourriture est licite), le fondateur du groupe des hurûfites influencés par le soufisme et l’isma’ilisme. Ils ont pour insigne une calotte blanche dont il couvrait la tête. Né en 741 (de l’hégire), Fadlallâh a été exécuté et sa dépouille brûlée sur ordre de Mîrân Shâh fils de Taymûr (Tamerlan) et à la suite de la fatwa prononcée par des savants sunnites de la ville de Tabrîz en 796. Outre son recueil de poèmes, il est l’auteur de “Anfus wa-âfâq (Des âmes et des horizons)”, poème composé en langue persane, du “Jâvidân Nâma” dans sa version longue, en langue persane d’Astarâbâd, et de “‘Arsh Nâma”. Il a résidé pendant vingt ans à la ville de Najaf…puis pendant quelque temps à Bâkû (Bakou en Azerbaïdjan) et à Shîrwân (Shirvan à l’extrême Nord-Est d’Iran) ».
Clément Huart (m. 1926), « Notice d’un manuscrit pehlevi- musulman », Journal Asiatique, 1889, t. XIV, p. 241 : « À première vue ce manuscrit paraît être écrit en persan. Un examen attentif seul montre qu’à côté de phrases en persan pur, le texte contient un grand nombre de passages écrits dans un dialecte persan particulier. Le mélange de ces deux éléments est même parfois tellement intime que l’auteur passe continuellement de l’un à l’autre, de sorte que l’ana lyse en devient souvent hésitante ».
Orkhan Mir-Kasimov, « Étude de textes ḥurūfī anciens : l’oeuvre fondatrice de Faḍlallāh Astarābādī », Revue de l’histoire des religions, 2009, p. 255 :
« Dans l’ensemble, le Jāwdān-nāma se présente comme un ouvrage crypté. Certaines indications trouvées dans les écrits des disciples de Faḍlallāh semblent corroborer cette hypothèse. Par ailleurs, si la dissimulation des données doctrinales est l’expression d’un choix délibéré de l’auteur, il pouvait se conformer en cela à l’usage dont des exemples se rencontrent aussi dans d’autres courants de la mystique musulmane, surtout parmi les branches chiites de celle- ci. Plus spécifiquement, la technique de la « dispersion de la science » (tabdīd al-‘ilm), qui consiste juste ment à diviser l’exposé sur un sujet « sensible » et à l’insérer par fragments dans différents endroits d’un texte plus anodin, est attestée dans les recueils des ḥadīth chiites, et dans le corpus alchimique attribué à Jābir b. Ḥayyān. La « dispersion de la science » faisait partie des pratiques destinées à préserver la pureté de la doctrine originelle face aux interprétations ineptes t à la mettre à l’abri des attaques de l’orthodoxie religieuse et des pouvoirs politiques. Les ḥurūfī, considérés comme des hérétiques dangereux, avaient donc toutes les raisons de recourir à ces techniques.
Pour reconstruire la doctrine contenue dans le Jāwdān-nāma il fallait donc résoudre les problèmes posés par la structure de ce texte, et avant tout celui de sa fragmentation. »