Le califat chiite des Fatimides

Le 7 janvier 910 à Raqqâda, près de Kairouan, en Tunisie, Abd Allâh al-Mahdî (r. 910-934), imam des ismaéliens, devenait le premier imam-calife des Fatimides, dynastie califale qui se maintint jusqu’en 1171 et qui marqua l’histoire du monde musulman. L’ismaélisme prônait un retour à l’islam des origines, celui du temps de Muhammad que les califes suivants, à l’exception d’Ali, auraient perverti. Le mouvement, né dans la clandestinité en Syrie, s’appuyait sur un réseau de propagandistes installés dans tout le monde musulman. C’est l’un d’entre eux qui créa au Maghreb les conditions nécessaires à la naissance de ce califat qui s’appuyait sur le sentiment d’injustice que les populations locales nourrissaient à l’égard des gouverneurs envoyés par les califes d’Orient depuis la conquête musulmane. Les ismaéliens croyaient qu’un des descendants d’Ali (m. 661) et de Fatima (m. 632) par la lignée de Husayn (m. 680) avait disparu du regard des hommes et devait revenir sur Terre comme mahdî, une sorte de messie, censé amener avec lui une ère de justice, de prospérité et révéler le véritable sens du message coranique. Le premier imam-calife fatimide affirmait ainsi haut et fort être le mahdî attendu.

Dans une première phase, quatre imams-califes se succédèrent au pouvoir au Maghreb durant soixante ans environ. Le premier tenta très vite et sans succès de repartir à l’assaut de l’Orient musulman, siège de la légitimité islamique, afin de mettre fin au califat des Abbassides. Pour ses ennemis, les échecs successifs constituaient la preuve qu’Abd Allâh al-Mahdî et son fils, le futur imam-calife al-Qâ’im, placé à la tête des armées défaites, n’étaient que des usurpateurs. Les difficultés à présenter une généalogie claire les rattachant à Muhammad et leur incapacité à réaliser les attentes eschatologiques que ce titre de mahdî impliquait contribuèrent à fragiliser le règne du deuxième calife qui dut faire face à une grande rébellion menée par un autre courant révolutionnaire de l’islam, le kharijisme, très bien implanté au Maghreb. Assiégé dans sa capitale portuaire de Mahdia, le calife décéda dans le secret. Son fils et successeur al- Mansûr (r. 946-953) parvint néanmoins à rétablir la situation. Son règne amorça une nouvelle phase née de la prise de conscience que la conquête de l’Orient ne pourrait se réaliser sans une base solide au Maghreb. Ainsi, à partir d’al-Mansûr, la capitale fut déplacée vers l’intérieur dans une position plus centrale. Dans le même temps, par l’intermédiaire de plusieurs intellectuels tel le cadi al-Nu‘mân (m. 974), les Fatimides amendèrent leur idéologie afin de la rendre moins choquante aux yeux des sunnites. Surtout, ils consolidèrent leur économie et leur puissance militaire au Maghreb et en Sicile. Le contrôle de cette île devint un enjeu majeur pour les imams-califes. Par ses richesses ainsi que par sa proximité avec l’Italie chrétienne, elle joua un grand rôle dans la montée en puissance des Fatimides. Ils parvinrent à s’imposer comme une véritable puissance méditerranéenne sous le califat d’al-Mu‘izz (r. 953-975).  Dans les années 960-970, alors même que les Abbassides subissaient revers sur revers contre les Byzantins, les Fatimides apparaissaient comme les champions du djihad contre les puissances chrétiennes.

Le temps était venu de passer à l’offensive. En 969, al-Mu‘izz lança son meilleur général contre une Égypte affaiblie. En 973, après l’avoir conquise, il confia ses territoires occidentaux à des émirs chargés de les administrer en son nom. Il transféra définitivement le califat dans la nouvelle capitale du Caire, construite pour l’occasion, et qui fut pour deux siècles la capitale peut-être la plus prestigieuse du monde musulman. Les Fatimides s’emparèrent alors d’une partie importante de la Syrie-Palestine, ainsi que de la péninsule arabique jusqu’au Yémen où, au XIe-XIIe siècle, régnaient des émirs qui reconnaissaient le pouvoir des califes du Caire. Les deux siècles passés en Égypte représentent une période de profonde évolution du califat fatimide. L’administration se complexifia pour se mettre au diapason du modèle que constituait le califat abbasside en la matière. L’apparition de grands vizirs contribua peu à peu à remettre en cause la centralité de l’imam-calife, siège de toute autorité. En 1074, à l’issue d’une guerre civile qui manqua d’emporter la dynastie, le calife en place fut sauvé et le califat avec lui mais il perdit tous ses pouvoirs au profit du général Badr al-Jamâlî (m. 1095) qui l’avait secouru. Dès lors, les imams-califes perdirent toute autorité et devinrent des marionnettes entre les mains de leurs vizirs.

En dépit de cette évolution, le contact qu’offrait l’Égypte avec la Méditerranée et la mer Rouge et, au-delà, avec l’océan Indien favorisa l’essor du commerce maritime et permit un développement économique du califat. Cet essor contribua au prestige de la cour du Caire. Un système complexe associant à la fois le commerce maritime, des monopoles étatiques et des accords commerciaux avec certaines puissances européennes fut mis en place. Ce système performant contribua au développement de la marine de guerre qui constituait l’arme principale des Fatimides, celle sur laquelle ils avaient construit leur prestige et qui contribua à leur survie une fois que le contexte leur devint de plus en plus défavorable. À partir des années 1060, les Seljukides amorcèrent leur avancée vers les territoires que les Fatimides possédaient en Syrie, au point de les obliger à ne garder que les cités littorales. Avec les croisades, la menace sur les territoires fatimides s’accentua. À partir des années 1150, bien que performant, le système créé par les Fatimides ne pouvait faire face à la multiplication des dangers, des théâtres d’opérations et à des contestations internes qui ne manquèrent pas de se développer au nom de la lutte contre le chiisme. Les Fatimides étaient désormais considérés comme incapables de tenir leur rang et de protéger les musulmans de l’avancée chrétienne. Affaiblis idéologiquement, rongés par les dissensions internes qui opposaient les généraux, les Fatimides ne purent s’opposer à la montée en puissance de Saladin qui, engagé comme dernier grand vizir par le calife al-Âdid (r. 1160-1171) détruisit le califat de l’intérieur au nom du sunnisme chaféite.

Référence électronique

David Bramoullé, Le califat chiite des Fatimides, publié le 25/06/2021
https://comprendrelislam.fr/religion-et-politique/le-califat-chiite-des-fatimides/